Face au changement climatique, l’humanité doit diminuer drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. L’un des principaux leviers concerne l’agriculture. Individuellement, modifier son alimentation et diminuer l’apport en viande est indispensable. Mais est-ce que ce changement impacte négativement notre santé ?

Aujourd’hui, plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) dues aux activités humaines sont liées à l’alimentation. Plus précisément, 72 % à 78 % de toutes les émissions mondiales de GES du secteur agricole sont émises par les produits d’origine animale. Pour décarboner nos repas, le GIEC propose plusieurs pistes de solutions, parmi lesquelles on retrouve la diminution de consommation d’aliments d’origine animale.
Indispensable pour l’environnement, cette évolution pose toutefois une question: et notre santé ? Dans la pyramide alimentaire, on observe bien du lait de vache, du poulet, du fromage etc…Aujourd’hui leur place tend à être diminuée notamment avec l’arrivée des protéines végétales, mais est-il possible de s’en passer ?
L’humain, une espèce omnivore
Être omnivore, c’est par définition le fait de pouvoir manger des aliments d’origine végétale et animale, chose permise grâce à l’appareil digestif. Pour l’homme, il n’y a pas grand mystère selon Delphine Rousseau, chercheuse en nutrition au CNRS: « oui, nous sommes omnivores. Dans le cas contraire, manger uniquement de la viande ou à l’inverse exclusivement des végétaux entraînerait de sérieux problèmes de santé ». Pour autant, de nombreux débats existent sur la part de chaque type d’aliments à consommer.
L’OMS (organisation mondiale de la santé) détaille dans sa page sur l’alimentation saine les apports nécessaires. On retrouve en premier lieu les fruits, légumineuses suivis des céréales et féculents. Viennent ensuite le sucre et les matières grasses, ces dernières ne devant pas excéder 30 % de l’apport énergétique total. Cette classification se rapproche de la fameuse pyramide nutritionnelle. Mais depuis quelques années, elle a un peu changé.
Une des principales évolutions concerne l’apport des protéines par la viande, diminué au profit des protéines végétales. Dans sa dernière recommandation de 2017, l’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation) porte un regard appuyé sur les légumineuses (lentilles, pois chiches) comme apport en protéines. À l’inverse, l’agence « insiste sur la nécessité de réduire considérablement la consommation de charcuteries (jambon, saucisson, saucisse, pâté, etc.) afin qu’elle ne dépasse pas 25 g par jour. La consommation de viandes hors volaille (bœuf, porc, agneau, etc.) devrait quant à elle ne pas dépasser 500 g par semaine ». Cela revient à ne pas manger plus de 5 steaks hachés par semaine. Des recommandations loin d’être mises en œuvre selon l’enquête nationale ESTEBAN.
Moins de viande pour une meilleure santé
La viande voit donc son poids dans nos assiettes largement minoré, à l’inverse des protéines végétales. Pourtant, il n’est pas rare d’entendre la critique de la qualité de la protéine, supérieure quand il s’agit de viande animale. Sur ce sujet, la nutritionniste Pauline Lecomte est formelle: « les protéines végétales et animales sont équivalentes ».
Pour en comprendre la raison, il faut s’attarder sur le point de différence entre les deux types de protéines: les acides aminés. Ce sont des molécules indispensables au fonctionnement de notre organisme. Si l’on consomme uniquement des protéines végétales, il est indispensable de bien varier son alimentation (légumineuses, céréales) afin de toutes les avoir. À l’inverse, la viande les fournit toutes que l’on parle de bœuf, poulet, porc etc. Mais il y a un revers de la médaille.
En 2015, le centre international de recherche sur le cancer a publié une étude indiquant qu’une forte consommation de viande rouge et de viandes transformées (charcuterie, porc et bœuf entre autres) était associée à un risque accru de cancer colorectal. Même constat dans une étude similaire produite par l’université de Californie, nommée Neu5Gc. « La viande rouge est excellente, si vous voulez vivre 45 ans », déclarait Ajit Varki, l’auteur principal.
Pour le moment, les études ont seulement démontré l’impact négatif de la viande rouge, à savoir le porc et le bœuf. Pour ce qui est de la volaille, aucune étude permet d’affirmer pour le moment qu’elle a un impact négatif sur la santé. Pour Fabien Badariotti docteur en biologie moléculaire et cellulaire et membre de l’ONAV (Observatoire national de l’alimentation végétale), « notre corps peut manger des produits issus d’animaux, mais il y a des limites ». À l’inverse, est-ce que le fait de ne plus manger de viande du tout pose problème ?
Végétariens sans problème, végétaliens à surveiller
Lorsque l’on parle de végétaliser son alimentation, la critique des carences arrive très vite. Les principaux concernés sont les végétaliens (et vegans, dont le régime est identique), qui ne mangent aucun produits issus d’animaux. Pour eux, il est important de s’intéresser aux « besoins en protéines, fer, calcium, zinc, iode, vitamine b12, oméga 3 » note Pauline Lecomte. Pour certains nutriments comme la vitamine B12, un complément alimentaire est d’ailleurs conseillé.
De plus, une attention particulière doit notamment être faite en fonction de l’âge, du lieu de vie…Comme l’explique Dalila Azzout-marniche, professeure en nutrition à AgroParisTech « il y a des différences de besoin en croissance ou pendant la grossesse par exemple. Pendant l’allaitement, lorsqu’il s’agit d’une personne âgée, il y a aussi des besoins spécifiques. »
Un autre point d’interrogation concerne le calcium. Présent dans le lait, on en retrouve aussi dans la laitue, les amandes, le soja et de nombreuses légumineuses. Actuellement, certains chercheurs étudient la qualité du calcium en fonction de sa provenance, et la manière dont il est minéralisé dans le corps. « La cause de cet effet mal connu, on travaille actuellement dessus, » reconnait Dalila Azzout-Marniche. Pour l’heure, il est donc difficile de savoir si le calcium du lait de vache est meilleur que celui de la laitue.
Pour les végétariens, qui peuvent consommer des œufs ainsi que du lait, du fromage etc, la question des carences est vite réglé.D’après Pauline Lecomte, « il n’y a pas vraiment de problèmes ». Il semblerait donc bien que l’homme, un animal omnivore puisse végétaliser son alimentation et devenir végétarien, sans pour autant souffrir de manques. Une bonne nouvelle dans la lutte contre le changement climatique.

La viande, culturellement au coeur de nos assiettes
En France (mais pas que), la viande est profondément ancrée dans le patrimoine culturel et gastronomique. Magret de canard, boeuf bourguignon, blanquette de veau…la culture culinaire française offre à la viande une place de choix. L’INRAE (l’Institut national de la recherche agronomique) explique également que « ce patrimoine se reflète aussi par la diversité des spécialités et des races d’animaux, toutes attachées à un territoire et à une histoire ».
Bien présente dans l’assiette, la viande est très appréciée. La raison ? Eh bien car sa saveur éveille les papilles explique Gilles Fumey, chercheur en géographie culturelle, « sur le plan gustatif, les cuissons révèlent parfois des saveurs très appréciées. C’est notamment le cas pour ce qui est grillé avec la réaction de Maillard », un procédé chimique qui déploie les arômes des aliments, tel une viande grillé au barbecue.
Toutefois, la viande n’est pas une évidence partout. Sa présence est inégale dans le monde. En Afrique ou Asie, l’aliment central des assiettes à plutôt tendance à être la céréale. « Les protéines animales sont reléguées au rang d’accompagnement » affirme la socio-anthropologue Elise Mognard.
Le rang social joue également un rôle. Toujours selon Elise Mognard, « Il y a bien une valorisation symbolique de l’accès à la viande comme étant un signe de richesse », mais cela varie beaucoup d’une culture à une autre. En occident par exemple, les personnes les plus aisés et éduqués végétalisent plus facilement leur alimentation. Difficile donc de dégager une tendance globale.
Une chose est sûre, les produits issus d’animaux sont toujours présents d’une manière ou d’une autre. En 2021, les français consommaient en moyenne 85,1kg de viande selon le ministère de l’agriculture. Un chiffre qui avait augmenté de 0,7% par rapport à 2020. À l’échelle de la planète, plus de 65 milliards d’animaux qui sont tués (soit près de 2 000 animaux par seconde) pour remplir nos assiettes.
Il est pourtant impératif de réduire leur consommation, pour améliorer la santé humaine et planétaire. Au regard de l’histoire de l’humanité c’est tout à fait possible car il ne faut pas oublier que l’un des plus grands atouts de l’homme, c’est son adaptabilité. Ce qui lui a notamment permis il y a plusieurs milliers d’années de se développer aux quatre coins de la planète.
Nos ancêtres, champions de l’adaptabilité
Dans la culture populaire, nos ancêtres cro-magnon, néandertaliens sont vêtus de peau d’animaux chassés et consommés pour se nourrir. Mais grâce aux découvertes récentes des archéologues et paléo-anthropologues, cette image à pris un coup de vieux.
Depuis plusieurs années, diverses études ont apporté un nouvel éclairage sur l’alimentation de nos ancêtres. « De plus en plus de personnes développent de nouvelles méthodes pour étudier le passé », explique Amanda Henry, professeure d’archéologie à l’université de Leiden aux Pays-Bas.
C’est le cas au sein de l’Institut Max Planck, une des références sur le sujet. Des chercheurs se sont penchés sur l’azote de l’émail des dents au niveau moléculaire. Jusqu’à présent ce genre de recherches n’était effectué que sur le collagène des os, qui ne se conserve pas très bien. Avec cette nouvelle technique, il est alors possible de se pencher sur « des spécimens beaucoup plus anciens ou mal conservés » affirme Amanda Henry.
Un régime végétalisé…et surtout très adaptable
Ce qui en ressort, c’est que « les plantes ont été très sous-estimées » déclare la professeure de Leiden. Même son de cloche pour Christina Warinner, professeure adjointe d’anthropologie à l’Université de Harvard. Ces dernières années, les études fleurissent pour démontrer que les hominidés consommaient des végétaux.
Autre élément d’importance, il n’y avait pas qu’un seul régime unique pour chaque espèce. L’assiette variait bien souvent en fonction des saisons, de la géographie locale. « Il n’y a pas de régime « ancestral » unique » explique Amanda Henry. La preuve, des cas de cannibalisme ont été retrouvé chez des néandertaliens et homo sapiens.
Au final, ce qui caractérise l’alimentation de nos ancêtres, c’est qu’il y a « une vraie adaptabilité des hominidés pour vivre dans des milieux divers et consommer ce qu’il y a de disponible dans l’environnement » résume Marie Besse, directrice du laboratoire d’archéologie préhistorique de l’université de Genève.
Toutefois, difficile de déterminer précisément l’assiette de nos ancêtres. Comme l’explique Antoine Balzeau, paléoanthropologue au Muséum national d’histoire naturelle: « les études sur le sujet se concentrent sur le peu de restes retrouvés, ce qui reste un petit échantillon. Il y a toujours un manque d’informations ».